II - DU SECOND EMPIRE AU DEBUT DU XXEME SIECLE
II - 1 . La Famille "ROUART".
Les deux fils de Stanislas Alexis ROUART, Henri né en 1833 et Alexis
né en 1839, font une partie de leurs études au Lycée
Louis Le Grand. Ils ont comme camarades de classe Alfred NIAUDET, Ludovic
HALEVY, Edgar DEGAS, et d'autres dont les liens avec les protagonistes sont
expliqués dans le document général.
Henri et Alexis, au sortir de Louis Le Grand, poursuivent de brillantes études
qui, complémentaires, leur permettent de gérer l'entreprise
familiale.
Henri, polytechnicien, spécialiste des poudres, effectue son temps
militaire dans l'Artillerie puis, brillant ingénieur et inventeur,
dirige l'aspect technique de l'entreprise tandis que son frère Alexis,
après ses études de droit, se charge de la partie administrative
et juridique.
L'entreprise ROUART, principalement spécialisée dans la fabrication
d'équipements (rails, boggies et autres équipements lourds)
pour le Chemin de Fer, alors en plein développement, se trouve, durant
la guerre de 1870, reconvertie en fabrique de canons. Mais, après cet
intermède "militaire" de courte durée, de nouvelles
productions s'ajoutent.
Henri ROUART
est, avec Zénobe GRAMME et Hippolyte FONTAINE, petit fils de l'architecte
rencontré au chapitre précédent, inventeur et fabricant
de dynamos. L'entreprise fabriquera aussi des moteurs "à essence"
qui équiperont les premiers bateaux de transport "à moteur"
sur la Seine.
Henri s'intéresse aussi à la technique naissante du froid ;
c'est son entreprise qui équipera l'ancienne morgue de Paris et construira,
aux Etats-Unis d'Amérique, les premières usines de fabrication
de glace. D'autres seront construites dans le monde.
C'est aussi à l'entreprise ROUART que l'on doit l'utilisation de l'air
comprimé pour l'acheminement des dépêches "pneumatiques"
dans les circuits inventés par l'illustre Clément ADER.
Si l'histoire d'Alexis est elle aussi connue, c'est celle d'Henri que nous
prendrons comme fil conducteur, car c'est lui qui reste jusqu'à sa
mort le propriétaire du domaine du Triangle. De plus, il sera maire
de La Queue-en-Brie de 1891 à 1912, année de son décès.
II - 2 . La Branche Caudacienne.
Bien qu'Henri vive principalement à Paris afin de diriger son importante
usine des Batignoles, sa famille est à La
Queue-en-Brie dès les premiers beaux jours.
Il a épousé en 1861 mademoiselle Hélène JACOB-DESMALTER,
petite fille du concepteur du berceau du Roi de Rome.
A la mort de son beau-père en 1870, Henri héberge sa belle-mère,
Madame Alfonse JACOB-DESMALTER, qu'il immortalise sur l'une de ses toiles,
en compagnie de Mademoiselle FONTAINE, soeur de son collaborateur, sous le
merisier de Sainte-Lucie dans la propriété Caudacienne.
Bien que la plupart des auteurs attribuent à la guerre de 1870 les retrouvailles entre Henri ROUART et le peintre Edgar DEGAS, des écrits mêmes de Madame Agathe VALERY-ROUART, on peut supposer que les deux hommes étaient en rapport depuis bien avant cette époque puisque, semble-t-il vers 1869, Henri confie la construction de deux hôtels particuliers jumeaux et mitoyens, rue de Lisbonne à Paris, à l'architecte Henri FEVRE. Ce dernier est le mari de Marguerite DEGAS, soeur du peintre et quatrième des cinq enfants de Pierre Auguste DEGAS et d'Odile MUSSON (Edgar étant l'aîné).
Après 1870, DEGAS et la famille ROUART ne se quittent plus. Lorsqu'ils sont à Paris, à la mauvaise saison, le peintre dîne le mardi chez Alexis et le vendredi chez Henri dont il est le plus proche.
II - 3 . Henri ROUART et les Impressionnistes.
Henri ROUART est un grand amateur de peintures mais aussi, et ce grâce
à sa fortune, un collectionneur et un mécène des peintres
de cette époque et particulièrement des peintres impressionnistes.
Ainsi, c'est lui qui s'entremet, à la demande de DEGAS, auprès
de son ami le photographe NADAR, pour que ce dernier prête le rez-de-chaussée
de son atelier du boulevard des Capucines afin d'y organiser le premier salon
des Impressionnistes. C'est ainsi qu'Henri se retrouve être signataire
de la charte de fondation de la "Société Anonyme Coopérative
d'Artistes Peintres, Sculpteurs, Graveurs, etc...", aux côtés
de MONET, RENOIR, SISLEY, DEGAS, MORISOT, PISSARO, BELIARD et GUILLAUMIN,
le 27 décembre 1873 chez NADAR.
Henri ROUART est peintre lui-même et c'est DEGAS, après MILLET, qui le pousse à aller plus loin que l'amateurisme.
II - 4 . DEGAS à La Queue-en-Brie.
Rien d'étonnant alors à ce que Henri ROUART mette une maison
à la disposition de son ami DEGAS dans sa propriété Caudacienne.
Mais ce n'est pas une des deux maisons bourgeoises ; c'est une
petite maison, en bordure de la rue Jean Jaurès, proche
de cet accès de la propriété, mais aussi proche de l'orangerie
dans laquelle Henri a aménagé un atelier.
Cette petite maison, en retrait des deux autres maisons, est réservée au peintre qui s'y rend régulièrement pour des séjours de quelques jours, quelques semaines et parfois plusieurs mois. Lorsque DEGAS y vient, il y est pratiquement toujours accompagné de sa bonne, ce qui lui permet de vivre en parfaite autonomie, de recevoir ou d'être reçu, et ce, sans gêner sa famille d'accueil dont il dira et écrira plusieurs fois qu'elle est "sa seule famille en France".
A l'analyse de la vie d'Edgar DEGAS, on peut dire qu'un certain nombre de ses toiles ont été réalisées à La Queue-en-Brie, même si elles n'en représentent pas le décor, le peintre travaillant surtout de mémoire et d'après photographies.
Une autre raison
à la fréquente présence du peintre à La Queue-en-Brie,
est qu'il est lui aussi ami intime de Ludovic HALEVY qui possède une
propriété à Sucy-en-Brie.
La "petite histoire" dit que, si Edgar DEGAS conserva le célibat
jusqu'à sa mort c'est en respect à la seule femme qu'il ait
aimé, Louise BREGUET, qui lui préféra son ami Ludovic
HALEVY.
II - 5 . HALEVY à Sucy-en-Brie.
Rappelons qui est Ludovic HALEVY :
Fonctionnaire attaché au Ministère de l'Intérieur, sous
les ordres du Duc DE MORNY (Demi-Frère de NAPOLEON III et fils de la
Reine Hortense que nous avons déjà rencontrée à
La Queue-en-Brie), il est avec MEILHAC le librettiste de Jacques OFFENBACH
; mais on lui doit aussi le livret de l'opéra "Carmen" qu'il
rédigea sur la musique de son cousin germain par alliance, Georges
BIZET.
C'est grâce
à Ludovic, qui avait bien entendu ses entrées à l'Opéra,
que DEGAS put lui-même y accéder et s'inspirer du spectacle des
coulisses pour nombre de ses oeuvres.
On note que l'un des fils de Ludovic restera longtemps maire de Sucy-en-Brie.
Quant à Madame Halévy, Louise BREGUET, elle est la soeur du physicien, la petite fille du collaborateur de CHAPPE. Elle est aussi cousine d'Alfred NIAUDET et de Sophie NIAUDET qui deviendra Madame Marcelin BERTHELOT ; et enfin, elle est aussi la tante de Louis BREGUET, le constructeur aéronautique.
A ce sujet, le
18 juin 1911, l'aviateur LANDRON, ami des HALEVY, parti quelques instants
plus tôt de l'aérodrome de Vincennes pour la première
étape du Circuit Européen, qui devait l'amener à Liège,
atterrissait dans un pré proche de la propriété des HALEVY,
à Sucy-en-Brie, où l'attendaient sa mère et sa soeur.
DEGAS, qui effectuait l'un
de ses coutumiers séjours à La Queue-en-Brie, eu
l'occasion de "voir" par le toucher un aéroplane ; le peintre
était alors presque aveugle.
Sans doute eut-il d'autres occasions d'approcher des aéroplanes, lors
des "meetings" aériens qui se déroulaient vers la
même époque dans l'ancienne propriété du Maréchal
MORTIER, devenue les terres de la ferme du Plessis Saint-Antoine, actuellement
propriété de la Région Ile-de-France.
II - 6 . Les Enfants d'Henri ROUART.
Lorsqu'on étudie le caractère très indépendant
d'Edgar DEGAS, on comprend qu'il n'ait pas créé d'école
ni formé officiellement d'élève. Il en instruisit cependant
un à qui il s'était attaché, Ernest ROUART, fils d'Henri
et époux de Julie MANET.
Julie MANET est la fille du peintre Berthe MORISOT et d'Eugène MANET, frère du peintre Edouard MANET. A la mort des parents de Julie, Stéphane MALLARME devint son tuteur, puis quand lui-même mourut, Edgar DEGAS fut nommé pour lui succéder. C'est ce dernier qui "combina" le mariage entre ses jeunes protégés, Julie et Ernest, et il s'y prit si bien que l'on célébra dans le même temps et au même endroit, un second mariage, celui de Jeannie GOBILLARD, cousine germaine de Julie et petite fille du Préfet MORISOT, avec Paul VALERY, ami d'Eugène ROUART et d'André GIDE. Précisons qu'Eugène ROUART, fils d'Henri, est lui-même marié à Yvonne LEROLLE, fille du peintre Henri LEROLLE qui fut l'auteur, entre autres, de fresques à la Sorbonne.
Et tout "ce petit monde" vécu à La Queue-en-Brie
!....
Il suffit, pour s'en convaincre, de simplement faire ce que nous avons fait, lire les milliers de pages que représentent les journaux intimes, les correspondances, les mémoires, les notes, les carnets, les études et autres biographies de ces personnages illustres, pour rencontrer ici et là une anecdote attachée à nos deux maisons bourgeoises.
Mais ce n'est pas tout !...
II - 7 . Les derniers occupants du Domaine.
En effet, Henri
ROUART a aussi une fille, Hélène. Celle-ci épouse
le fondé de pouvoir de l'entreprise paternelle, Eugène MARIN,
dont le père, polytechnicien, ami des ROUART, fut chargé de
la construction du phare en mer qui balise l'entrée du port des Sables
d'Olonne. Puis, ingénieur des Chemins de Fer, il développa les
lignes de l'Ouest parisien avant d'en devenir le directeur. On lui doit aussi
la construction d'une partie de la ligne de "la Petite Ceinture".
C'est Hélène qui hérite de la propriété
du Triangle après la mort de ses parents, et ce sont ses descendants
qui continuent, peu ou prou, l'entretien du domaine jusqu'à ce qu'ils
en fassent dont aux Caudaciens, en 1988.
III - CONCLUSIONS.
Voici ce qu'il nous a été possible de réveiller du passé
de ces maisons et de leurs habitants.
Aujourd'hui, les représentants des Caudaciens dernièrement élus
se sentent, semble-t-il, incapables de gérer ce patrimoine puisqu'ils
en ont décidé la destruction.
Si, pour eux, la charge est trop lourde, peut-être est-ce à l'Etat
de remédier à leur incompétence.
Après ce que les hommes et les femmes que nous avons cités dans cet exposé, ont apporté à la grandeur et au patrimoine de la France, peut-être que celle-ci pourrait honorer leur mémoire en respectant et en rénovant ces lieux chargés d'histoire ....
En
aucun cas les Institutions de l'Etat ne doivent laisser détruire et
se perdre cet héritage qui, demain, pourra devenir une source de prospérité.
ANNEXE HISTORIQUE CONCERNANT LA PROPRIETE ROUART, DITE PROPRIETE DU TRIANGLE
Etude réalisée par M. et Mme R. ESSELIN et leurs filles Cécile et Florence - Fondateurs et Membres des Associations S.C.I.A.M. et ESSOR CAUDACIEN. Reproduction totale ou partielle interdite sauf accord écrit des auteurs.
Essor Caudacien - © 2001 - Tous droits réservés. Nous écrire à : Essor Caudacien - B.P. 4 - 94510 La Queue-en-Brie Courriel : essor.caudacien@free.fr